Le monsieur tout nu
Il n'y a pas si longtemps, c'est-à-dire au cours du printemps, j'ai organisé chez moi l'un de mes célèbres apéritifs où tout Paris se précipite... La technique de l'apéro est quelque chose d'éprouvé que je conseille à tous les gens comme moi qui ne savent pas recevoir leurs amis : prétendez que vous faites un apéro, simple prélude à une sortie subséquente. Vous vous contenterez ainsi de mettre des cacahuètes dans un bol, trois carottes près d'une béchamelle, et le tour est joué. Bien sûr, à minuit, vos amis qui sont toujours là ont faim. Comme c'est officiellement un apéritif et que vous n'êtes pas censé avoir prévu quoique ce soit, ils ne sont pas regardants et lorsque vous brandissez hors du congélateur vos pizzas trois fromages ils sont ravis, reconnaissants et soulagés.
Bref sur les coups de 23 h - minuit nous étions tranquillement en train de nous congratuler d'être tous en si bonne compagnie lorsque deux d'entre nous qui se faisait vraiment ch qui désiraient fumer se rendirent à la fenêtre (sachant que j'habite sur un grand boulevard ; le vis-à-vis n'est donc pas immédiat, mais reste perceptible à l'oeil nu ; c'est ainsi par exemple que l'été, pile en face de moi (depuis ma pièce principale, eh oui tiens donc une métaphore filée), j'ai une voisine qui se déplace nue dans son appartement, mais je ne la vois pas bien bien quand même). Là, ils ont avisé un Monsieur d'un immeuble de l'autre côté de la rue qui est sorti sur son balcon tout nu. Le Monsieur est venu tout contre son balcon, et avec le geste le plus naturel du monde, s'est soulagé (récapitulatif : il s'agissait du cinquième et avant-dernier étage, les immeubles étant tous bornés à six étages sur ce boulevard). Cinq étages plus bas, un demi-cercle foncé s'est rapidemment dessiné au sol (il n'y avait pas de passants à ce moment-là). Ensuite, le Monsieur tout nu, au lieu de rentrer piteusement chez lui, a allumé un cigare ou une cigarette et s'est installé dans un fauteuil. Il a fumé tranquillement pendant que les passants intrigués ralentissaient au moment d'aborder le demi-cercle et finissaient (odorat ? instinct ?) par le contourner.
L'événement a été commenté et globalement condamné. Eh bien moi, secrètement, j'ai admiré le Monsieur tout nu. Parce qu'au-delà du fait que tout ça c'est pas propre (on est bien d'accord), je serais bien incapable de le faire. Du coup j'avoue que l'aplomb avec lequel cela a été réalisé m'a scotché.